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Une scène de plus en plus courante dans les rues de nos villes : des véhicules garés avec leurs plaques d'immatriculation soigneusement dissimulées. Ce phénomène, autrefois marginal, s'est considérablement amplifié ces dernières années dans les grandes agglomérations françaises. Derrière cette pratique se cachent diverses motivations, allant de l'évitement des amendes à des préoccupations liées à la vie privée.

Alors que les systèmes de surveillance automatisés comme le LAPI (Lecture Automatisée des Plaques d'Immatriculation) se multiplient dans nos villes, certains automobilistes cherchent à échapper à ce qu'ils perçoivent comme une surveillance excessive.

Le phénomène grandissant du camouflage des plaques

En parcourant les rues de Paris, Lyon, Marseille ou Bordeaux, il n'est plus rare d'observer des voitures stationnées dont les plaques d'immatriculation sont masquées par divers moyens. Cette pratique s'est particulièrement développée depuis la généralisation des systèmes LAPI, ces caméras embarquées qui scannent automatiquement les plaques pour vérifier le paiement du stationnement.

Le système LAPI, initialement conçu pour améliorer l'efficacité du contrôle du stationnement, a paradoxalement engendré une résistance de la part de certains automobilistes. Ces dispositifs, montés sur des véhicules de surveillance qui sillonnent les villes, peuvent scanner jusqu'à 1000 véhicules par heure, rendant le contrôle bien plus systématique qu'auparavant.

 

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Pourquoi dissimuler sa plaque ? Les motivations des automobilistes

Échapper aux amendes de stationnement

La raison la plus évidente de cette dissimulation est d'ordre financier. En masquant leur plaque, les automobilistes espèrent éviter les amendes pour stationnement impayé ou dépassé. Sans identification possible du véhicule, le système automatisé ne peut pas générer de contravention.

Cette motivation s'est accentuée avec l'augmentation des tarifs de stationnement dans les grandes villes et la mise en place du Forfait Post-Stationnement (FPS) en 2018, qui a remplacé l'amende traditionnelle par un forfait souvent plus élevé. Dans certaines zones de Paris, par exemple, le FPS peut atteindre 75€, une somme dissuasive qui pousse certains à tenter de contourner le système.

Protection de la vie privée et sécurité personnelle

Au-delà de l'aspect financier, des préoccupations liées à la vie privée motivent cette pratique. Certains automobilistes s'inquiètent de la collecte massive de données sur leurs déplacements et habitudes de stationnement.

La crainte du vol d'identité automobile ou du clonage de plaque constitue une autre motivation sérieuse. En effet, les plaques visibles peuvent être photographiées puis reproduites illégalement pour être utilisées sur d'autres véhicules, généralement dans le cadre d'activités délictueuses. Les victimes de ce type de fraude se retrouvent alors à recevoir des amendes ou être impliquées dans des infractions qu'elles n'ont pas commises.

Les différentes techniques de dissimulation utilisées

L'ingéniosité des automobilistes pour masquer leurs plaques ne connaît pratiquement pas de limites. Voici les méthodes les plus couramment observées :

  • Objets du quotidien : cartons, journaux, sacs plastiques fixés avec des élastiques
  • Accessoires spécifiques : bâches pour motos adaptées aux voitures, housses spéciales pour plaques
  • Textiles : foulards, vêtements, serviettes attachés sur la plaque
  • Ruban adhésif : utilisé pour modifier certains caractères ou masquer entièrement la plaque
  • Stationnement stratégique : garer son véhicule très près d'un mur ou d'un obstacle pour rendre la plaque inaccessible aux caméras

Certains automobilistes vont jusqu'à utiliser des sprays ou films réfléchissants censés perturber les systèmes de lecture optique, bien que l'efficacité de ces méthodes soit discutable et leur légalité clairement problématique.

La dissimulation volontaire d'une plaque d'immatriculation constitue une infraction au Code de la route, même lorsque le véhicule est stationné. Plusieurs articles encadrent cette obligation :

Les textes qui s'appliquent

L'article R317-8 du Code de la route stipule clairement que "les plaques d'immatriculation doivent être maintenues dans un état d'entretien permettant la lecture des inscriptions qu'elles comportent". Par ailleurs, l'article R413-15 interdit explicitement "tout équipement ou tout dispositif destiné à entraver le fonctionnement normal des appareils de surveillance".

Ces dispositions s'appliquent théoriquement aussi bien aux véhicules en circulation qu'aux véhicules stationnés, même si certains avocats évoquent parfois un flou juridique concernant l'application stricte aux véhicules à l'arrêt.

Les sanctions encourues

Les contrevenants s'exposent à plusieurs types de sanctions :

  • Une amende forfaitaire de 135€ pour plaque non visible ou illisible (contravention de 4ème classe)
  • Jusqu'à 750€ d'amende pour l'utilisation de dispositifs visant à entraver les systèmes de contrôle
  • La possibilité d'une immobilisation du véhicule dans certains cas

Au-delà de ces sanctions directes, le véhicule peut recevoir une amende pour non-paiement du stationnement, puisque l'agent verbalisateur peut relever l'infraction manuellement en notant d'autres éléments d'identification comme la marque, le modèle et la couleur du véhicule.

 

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Le débat juridique : un vide législatif ?

Malgré la clarté apparente des textes, certains juristes pointent des zones d'ombre dans la législation. L'argument principal avancé par quelques avocats spécialisés concerne la distinction entre véhicule en circulation et véhicule stationné.

Selon cette interprétation, l'obligation de maintenir la plaque visible serait principalement liée à la circulation routière. Une fois le véhicule stationné et devenu "temporairement inactif" sur la voie publique, l'application stricte de ces dispositions pourrait être contestée.

Cette interprétation reste néanmoins minoritaire, et la jurisprudence tend généralement à confirmer l'obligation de maintenir les plaques visibles en toutes circonstances sur la voie publique.

La réponse des autorités face à cette pratique

Intensification des contrôles

Face à l'augmentation de ce phénomène, les municipalités et forces de l'ordre ont adapté leurs stratégies de contrôle. Dans plusieurs grandes villes, des opérations spécifiques sont menées pour cibler les véhicules aux plaques dissimulées.

Les agents de surveillance de la voie publique (ASVP) sont désormais formés pour repérer ces pratiques et peuvent faire appel à la police municipale ou nationale en cas de besoin. Certaines villes ont mis en place des équipes mixtes associant contrôleurs de stationnement et forces de l'ordre pour intervenir directement.

Le rôle des sociétés privées de gestion du stationnement

Les entreprises privées chargées de la gestion du stationnement dans certaines municipalités sont particulièrement concernées par ce phénomène qui affecte directement leurs revenus. Elles ont développé des protocoles spécifiques pour traiter ces cas :

  • Formation des agents aux méthodes d'identification alternative des véhicules
  • Utilisation de technologies complémentaires comme la reconnaissance du modèle du véhicule
  • Signalement systématique des véhicules aux plaques masquées aux autorités compétentes

Ces sociétés sont toutefois régulièrement critiquées pour des erreurs de verbalisation, notamment lorsque des plaques partiellement visibles sont mal interprétées par les systèmes automatisés, générant des contraventions injustifiées.

Les enjeux sociétaux : au-delà de la simple infraction

Un révélateur de tensions autour de la surveillance numérique

Le phénomène de dissimulation des plaques s'inscrit dans un contexte plus large de méfiance envers les technologies de surveillance. Il révèle les tensions entre l'efficacité administrative recherchée par les pouvoirs publics et les préoccupations des citoyens concernant leur vie privée.

Les systèmes LAPI, bien que principalement déployés pour le contrôle du stationnement, suscitent des inquiétudes quant à leurs autres utilisations potentielles : suivi des déplacements, croisement de données, conservation prolongée d'informations personnelles...

Le débat sur l'équilibre entre sécurité et liberté

Cette pratique alimente le débat sur l'équilibre nécessaire entre sécurité publique et libertés individuelles. Si la lecture automatisée des plaques présente des avantages indéniables pour la gestion urbaine et la sécurité routière, elle pose question quant à la proportionnalité des moyens mis en œuvre.

Certaines associations de défense des libertés numériques s'inquiètent de la normalisation progressive d'une surveillance généralisée des déplacements, même si celle-ci est initialement justifiée par des objectifs limités comme le contrôle du stationnement.

Quelles alternatives légales pour les automobilistes préoccupés ?

Face aux préoccupations légitimes des automobilistes, plusieurs solutions respectueuses de la loi existent :

Pour les inquiétudes financières

  • Applications de paiement mobile : permettent de payer précisément la durée nécessaire et d'être alerté avant expiration
  • Abonnements résidents : tarifs préférentiels pour les habitants des zones concernées
  • Parkings privés ou en ouvrage : souvent moins surveillés par les systèmes LAPI et parfois moins coûteux sur de longues durées
  • Solutions de mobilité alternative : transports en commun, vélos, trottinettes pour les déplacements urbains

Pour les préoccupations liées à la vie privée

  • Utilisation de parkings privés sécurisés : moins exposés aux risques de clonage de plaque
  • Vérification régulière de l'absence d'amendes injustifiées pour détecter rapidement un éventuel clonage
  • Signalement immédiat aux autorités en cas de suspicion de fraude

Ces alternatives permettent de répondre aux préoccupations sans s'exposer aux sanctions prévues pour la dissimulation des plaques.

Vers une meilleure protection des données personnelles ?

Le phénomène de dissimulation des plaques soulève des questions légitimes sur la protection des données personnelles liées aux véhicules. Plusieurs pistes pourraient être explorées pour améliorer cette protection :

  • Limitation stricte de la durée de conservation des données collectées par les systèmes LAPI
  • Encadrement juridique renforcé des usages autorisés pour ces données
  • Transparence accrue sur les dispositifs déployés et leur finalité
  • Développement de technologies respectueuses de la vie privée permettant le contrôle du stationnement sans collecte massive de données

Ces évolutions permettraient potentiellement de réduire les inquiétudes légitimes sans encourager des pratiques illégales comme la dissimulation des plaques.

Le camouflage des plaques d'immatriculation lors du stationnement révèle les tensions entre modernisation technologique de la gestion urbaine et préoccupations citoyennes. Si cette pratique reste formellement interdite et passible de sanctions, elle interroge notre rapport collectif à la surveillance numérique. L'enjeu pour les années à venir sera de trouver un équilibre satisfaisant entre efficacité administrative, respect de la légalité et protection des libertés individuelles. En attendant, les automobilistes ont tout intérêt à privilégier les alternatives légales qui existent pour répondre à leurs préoccupations, qu'elles soient financières ou liées à la protection de leur vie privée.

Vanessa Lenormand
Publié par
Responsable rédactionnel
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